Éthique et UX research
Propulsée dans les 90’s par Don Norman et Jakob Nielsen (du N/N Group), la recherche utilisateur promeut une approche plus scientifique du comportement des utilisateurs afin de leur proposer une expérience utilisateur optimale. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’émerge la désormais célèbre statistique, attribuée à Don Norman puis reprise par Jakob Nielsen, selon laquelle il suffit des 5 premiers utilisateur·rice·s pour mettre en évidence 85% des problèmes d’usabilité d’un produit.
À l’aide de différentes méthodes issues des sciences cognitives et des sciences humaines (observation, entretiens, tests), les UX researchers vont au plus près des utilisateur·rice·s, parfois sur le terrain, pour mieux les comprendre. La proximité avec les participant·e·s de recherche et la confiance qui les lie aux UX researchers, font partie intégrante du métier.
Dans un monde en numérisation croissante, qui cherche à acquérir une connaissance toujours plus fine des utilisateur·rice·s grâce à leurs données personnelles, l’éthique représente un enjeu essentiel. Contrairement à la recherche scientifique ou universitaire, l’UX research n’est pas encadrée par un comité éthique. De même, le métier d’UX researcher n’est pas codifié et ne dispose pas de formations dédiées.
Comment les UX researchers naviguent-ils alors, à la frontière parfois floue entre législations et questions d’éthique ?
Les participants, au coeur de la recherche
Cela peut sembler une évidence, mais la spécificité du participant est que sa participation dans le cadre d’une recherche utilisateur dépend exclusivement de son bon vouloir. Ce libre arbitre pourrait représenter le premier des principes éthiques à considérer en matière de recherche utilisateur.
Le N/N Group rappelle que les participants à la recherche sont des sources inestimables d’informations : “Soyez engageants et ouverts avec eux ; vous aurez une meilleure chance d’établir une valeur plus élevée pour votre projet et la manière dont il profitera à vos utilisateurs et, par association, à votre organisation et à vous-même.”
Les participants, parfois amenés à parler de sujets sensibles ou traumatisants, méritent d’être traités avec respect et empathie. L’UX researcher est alors responsable de leur bien-être tout au long du processus de recherche, du recrutement à la compensation.
Le chercheur aura aussi à gérer l’organisation et la bonne planification des déroulés de recherche : “ne faites pas perdre de temps à vos participants !” rappelle Ditte Hvas Mortensen dans les principes d’une recherche utilisateur éthique.
La recherche utilisateur permet de récolter des données dans le cadre de l’UX design, afin de soutenir une conception centrée sur l’humain. Elle doit garantir le respect de la dignité et bien entendu garantir la protection des données.
Les points de contact entre le participant et l’UX researcher
Oui mais l’éthique… c’est quoi ?
L’éthique est définie comme étant “la partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale”. Une approche éthique de la recherche utilisateur s’envisage donc bien au-delà du respect de la loi.
Pour le CNRS, la recherche scientifique est strictement encadrée, l’éthique “[ …]invite à réfléchir aux valeurs qui motivent nos actes et à leurs conséquences et fait appel à notre sens moral et à celui de notre responsabilité”. En complément, la notion de déontologie est explicitée comme réunissant les devoirs et obligations imposés à une profession, une fonction ou une responsabilité. L’intégrité scientifique concerne, quant à elle, la bonne conduite des pratiques de recherche.
Des définitions qui pourraient s’appliquer à la recherche utilisateur.
4 incontournables pour une recherche utilisateur éthique
Lorsqu’il s’agit de considérer une pratique éthique de la recherche utilisateur, 5 points essentiels, tous articulés autour du participant, doivent être pris en compte :
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Le recrutement
Cette étape cruciale de la recherche utilisateur, vise à identifier finement et à rassembler les participants qui feront l’objet d’entretiens ou de tests produits, en tant que groupe représentatif des principaux utilisateurs d’un produit ou service.
Comment ? Pour atteindre ces utilisateurs potentiels, différents canaux et options, toujours en veillant à ne pas être intrusif : à travers des forums, groupes de discussions, communautés en ligne. In situ, des demandes directes, sur le terrain concerné.
Ou encore, via le réseau personnel ou professionnel du chercheur, ou des listes de diffusions fournies par le commanditaire. Il est alors pertinent de s’adresser d’abord à l’administrateur d’une communauté ou d’un groupe de discussion afin de lui exposer sa démarche et légitimer sa demande auprès des participants.
Exemple de screener fictif.
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La compensation
Elle consiste à offrir un dédommagement aux participants des tests d’usabilité ou de recherche utilisateur, pour les encourager à participer mais aussi, à reconnaître la valeur des connaissances et de l’expérience des participants.
Comment ? Rappelez au commanditaire que la compensation est importante et doit intervenir dans le respect de la légalité. Indiquer clairement quand et comment les participants la recevront. C’est également un bon moyen de solliciter des futurs participants, qui sont déjà utilisateurs de la marque, dans la cadre d’une amélioration d’image. La compensation peut prendre la forme d’une rémunération horaire ou d’un chèque cadeau par exemple.
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La confidentialité
Transparence, sécurité et respect de la vie privée doivent guider l’UX researcher. La nature même de son travail l’amène à recueillir et à collecter un grand nombre de données personnelles et différents types d’informations, parfois sensibles. Selon la CNIL, une donnée personnelle est “toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable”. La garantie de la protection de la vie privée est ce qui amènera les personnes recrutées à participer à une étude et plus tard à utiliser un produit ou service en lesquels ils ont confiance.
Comment ? Sécuriser le stockage, puis le partage anonymisé des données non brutes au commanditaire. Se tenir au fait de la législation en vigueur (RGPD). C’est aux UX researchers de garantir que l’identité (nom, prénom, adresse mail, adresse postale, numéro de téléphone, etc.) des participants soit confidentielle et sécurisée.
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Le consentement
Le consentement, accompagné du droit de retrait, est une notion fondamentale dans toute démarche de recherche utilisateur. En la matière, la CNIL est sans équivoque : “ La personne doit avoir la possibilité de retirer son consentement à tout moment, par le biais d’une modalité simple et équivalente à celle utilisée pour recueillir le consentement”.
Ainsi, les participants ont le droit de se retirer à tout moment de l’étude sans avoir à fournir de justification aucune et peuvent demander que leur données soient effacées, même si cela nuit aux résultats de la recherche.
Comment ? Les participant·e·s doivent être informé·e·s du sujet et des objectifs de la recherche afin de décider en toute conscience d’y prendre part ou non, c’est le consentement éclairé. Le droit de retrait, l’autorisation d’enregistrer et de stocker les données, doivent être énoncés dans le formulaire de consentement que les participants signent avant le début de la recherche et avant chaque entretien. Généralement, il convient de répéter oralement l’objectif et le processus de recherche pour s’assurer du consentement de la personne.
Si les participants sont des personnes vulnérables, comme les enfants, les personnes atteintes de maladies ou de handicaps mentaux, ou les personnes souffrant d’illettrisme, le consentement relève d’un adulte responsable ou un tuteur légal, toujours avec le consentement explicite de la personne concernée.
Exemple de formulaire de consentement.
Good to know, good to go
Adopter une approche éthique de l’UX research relève en partie d’une volonté individuelle, qui nous semble incontournable dès lors que la recherche implique des participants humains. Si le RGPD permet d’encadrer le consentement ou encore la confidentialité des participants de recherche, rien n’est prévu quant à la moralité. Il revient aux UX researchers de faire des choix (commanditaires, sujets, panels, méthodes), alignés avec leurs valeurs.
Dans son article Conducting ethical user research publié en 2021, l’Interaction Design Foundation rappelle quelques principes de base, que nous enrichissons de nos retours d’expérience :
- Soyez honnête avec vos participants sur qui vous êtes et en quoi consiste votre projet.
Retour d’expérience : La transparence est la clé. Si la présentation de l’objectif de l’étude reste générale lors du premier contact avec un participant potentiel, il est essentiel d’être le plus clair possible dès le début sur les processus, notamment administratifs et organisationnels qui vont engager le participant, afin d’éviter un désistement par la suite mais aussi de favoriser son consentement éclairé.
Se présenter par son prénom et le nom de son agence, permet à la fois de démontrer son sérieux et sa légitimité tout en permettant à la personne approchée d’effectuer des vérification de base sur le site web de l’agence par exemple. Il est également important d’être réactif aux commentaires et questions des futurs participants.
- Soyez sensible aux sentiments de vos participants et aux normes culturelles.
Retour d’expérience : Il revient aux UX researchers de se renseigner et de s’instruire en amont sur les thématiques de leur étude et plus globalement sur des sujets contextuels comme le racisme, les religions, les handicaps ou encore la discrimination.
L’expérience a pu montrer que selon leur situation géographique, les participants ne livrent pas des informations personnelles de la même manière. Un participant Outre-Atlantique pourra se montrer plus spontané dès les premières minutes de l’entretien, tandis qu’un participant français par exemple, fera montre de plus de réserve.
- Représentez vos participants avec précision et soyez ouvert à ce qu’ils disent et font.
Retour d’expérience : Déterminer finement le profil des utilisateurs qui constitueront les participants en amont du recrutement, est une étape cruciale pour obtenir des résultats de recherche pertinents et instructifs. Le screener est le document sur lequel s’appuie l’UX researcher pour recruter : il permet de résumer les principaux critères de sélection du panel de participants, en cohérence avec les objectifs de l’étude. Il contient également le nombre de participants et les éléments qui permettent la représentativité des participants.
Par la suite, il s’agit de représenter honnêtement et fidèlement ce que les participants ont dit et fait, sans déformer les verbatims et insights recueillis. La rigueur méthodologique rejoint ici la transparence qui doit accompagner la restitution des résultats.
- Ne faites jamais pression sur les participants.
Retour d’expérience : La posture de chercheur implique une distance et un décentrement du regard qui lui imposent une réserve, dont le curseur est propre à chaque UX researcher. Il en va de la pertinence des résultats obtenus et de la confiance du participant, et ce, quels que soient les objectifs visés par le commanditaire et les idées préconçues du chercheur.
Selon la typologie de la recherche, divulguer certaines informations aux participant·e·s peut potentiellement biaiser les résultats de la recherche. Tels l’objectif ou le nom des commanditaires de la recherche, dont la notoriété peut influer sur les réponses. Dans ce cas, les UX researchers peuvent avoir recours à la dissimulation pour ne pas influencer le comportement des interrogés.
Cette méthode est tout à fait légale, mais elle peut rompre la confiance accordée par les participants et va à l’encontre de l’intégrité de l’UX researcher.
L’éthique, un choix personnel
L’UX research éthique est donc principalement une question de moralité, de ce qui va dans le sens ou à l’encontre de l’humanité, de l’empathie ou de l’intégrité des UX researchers.
Cela soulève de façon plus générale la question du design éthique ou comment attirer et fidéliser l’utilisateur sans céder aux dark patterns par exemple.
Au-delà de la morale, c’est également un enjeu de réputation auprès des participants et utilisateurs de l’organisation représentée, mais aussi auprès du commanditaire et client.
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