De la Continuous Research à la Product Discovery
Dans le processus de conception des produits, la product discovery constitue une étape cruciale, au cours de laquelle les équipes de développement tentent de comprendre les besoins des utilisateurs, de définir les problématiques auxquelles ils sont confrontés et de tracer les contours de solutions potentielles.
La product discovery recouvre des enjeux stratégiques majeurs pour les entreprises et organisations qui investissent en elle. Compte tenu de ces enjeux, elle a tout intérêt à être encadrée attentivement, structurée méthodologiquement. Ainsi les équipes sont à même de faire des découvertes originales, de trouver des insights différenciants ou de cerner des besoins non-identifiés et donc non-satisfaits. Car même la découverte fortuite – la fameuse sérendipité – peut être encouragée en réunissant certaines conditions.
Comment mettre en place un processus de recherche continu dans un contexte organisationnel donné ? Pourquoi restructurer des équipes préexistantes autour de processus de recherche continus ? Que peut-on apprendre des entreprises qui sont parvenues à promouvoir la recherche continue en culture du développement ?
On vous propose quelques éléments de réponse !
Une serendipité organisée
De l’importance des routines de recherche
En effet, même si la product discovery implique une approche centrée utilisateur, des boucles itératives et répétées, ainsi que des collaborations inter-équipes pour fluidifier les protocoles de recherche à déployer, la richesse et la pertinence de ses résultats peuvent être facilitées par l’organisation de routines de recherche continue. La finalité ? Identifier des irritants existants, innover en flux tendu ou explorer des hypothèses avant d’aiguiller la décision de design et d’orienter le développement en fonction des insights recueillis.
La recherche continue désigne simultanément une organisation interne du travail, une série de méthodes articulées entre elles, et une attitude vis-à-vis de ce que le designer veut dire.
L’organisation des équipes
Intuitivement, on voit bien comment des équipes méthodiquement organisées autour d’une pratique de recherche continue, maximisent leurs chances de faire une découverte radicalement neuve ou d’accumuler les trouvailles plus modestes qui, recoupées, finissent par se transformer en avantages compétitifs décisifs.
De manière cruciale, elle se distingue de l’organisation traditionnelle de la recherche, par son rythme, sa fréquence, sa durée et… les équipes qui en sont responsables ! Au lieu que la recherche soit conduite par des équipes indépendantes, éventuellement externalisées, sur des cycles longs, pour répondre à une problématique de fond, la recherche continue suppose des cycles courts, des questions ponctuelles et précises, et peut être directement menée par les équipes produit elles-mêmes.
Continuous research = Continuous discovery ?
Qu’est-ce que la recherche continue ? Quand on prend le temps de consulter les sources de référence ou les conférences sur le sujet, force est de constater que la recherche continue (continuous research) et la découverte continue (continuous discovery) sont convoquées comme des expressions relativement interchangeables. Or, si ces méthodologies ont en commun de revendiquer un certain rapport à la continuité, il y a fort à parier que le résultat (discovery) et le processus (research) ne renvoient pas exactement aux mêmes réalités théoriques et pratiques. Une brève clarification s’impose.
La recherche continue : une compréhension dynamique
De la même manière que la recherche utilisateur traditionnelle, la recherche continue revendique une approche user centric. Mais elle encourage les équipes produit à actualiser régulièrement leur compréhension des besoins, des comportements et des préférences des utilisateurs.
Alors que la recherche utilisateur produit une image fouillée mais figée des besoins des utilisateurs, la recherche continue produit une connaissance en mouvement, moins profondément creusée, mais plus dynamique, plus réactive à ses propres conclusions. Une recherche en cours, toujours en train de se faire, au devant des signaux faibles, voilà ce qui caractérise la recherche continue.
• À cela s’ajoute un rapport particulier aux données. Quelles que soient les méthodologies de recueil sur lesquelles elle se fonde, la recherche continue produit un flux de données qualifiées régulier, diversement exploitables par les équipes produit, pour initier de nouveaux projets de recherche, pour susciter de nouvelles idées créatives, ou pour consolider une décision de développement.
• Par-là, la recherche continue définit une boucle de rétroaction vertueuse. En recueillant les avis des usagers via, par exemple, une série courte d’entretiens semi-directifs, elle produit elle-même les données qui permettront aux équipes d’élaborer de nouvelles hypothèses à tester, de découvrir de nouvelles pistes à creuser, d’imaginer de nouveaux travaux de recherche à conduire.
La découverte continue : la conception agile
Tandis que la recherche continue constitue une philosophie de développement qui doit soutenir les produits ou les services sur l’ensemble de leur cycle de vie, la découverte continue est plus particulièrement pertinente au début de leur cycle de vie. Elle suppose une exploration en profondeur des problématiques rencontrées par les utilisateurs et vise à accompagner les équipes de développement dans l’identification et la définition des problématiques à résoudre dans et par le design de leurs solutions.
• Comme la recherche continue, la découverte continue encourage une approche itérative et procédurale de l’idéation. Elle incite les équipes à une exploration tous azimuts, à conduire des tests sur-mesures et rapides et à revisiter régulièrement leurs hypothèses (A/B testing entre autres), ce qui leur garantit de travailler à la construction d’un produit en phase avec les besoins évolutifs des utilisateurs. Mobilisée au début du développement, elle permet de limiter le gaspillage de temps et de ressources dans le développement de fausses bonnes idées ou de solutions en décalage avec les besoins utilisateurs.
• Effet de bord important de la découverte continue : elle favorise le développement d’une culture et d’une pratique de l’innovation centrée sur les utilisateurs. Son organisation oblige des équipes parfois détachées des utilisateurs finaux à chercher elles-mêmes des insights, à identifier des opportunités d’amélioration pour ceux à qui le produit, le service ou la fonctionnalité à développer sont destinés.
Des processus complémentaires
En encourageant des processus de recherche et de découverte continues, on rend possible une découverte produit qui soit simultanément agile, au plus près des besoins des utilisateurs, et nourrie par des données directement issues du terrain de l’usage.
Cela favorise le développement de produits, services ou fonctionnalités qui ont davantage de chance d’être plébiscités par les utilisateurs… et les marchés !
Voici quelques exemples de méthodes et indicateurs, qui soutiennent une recherche continue efficace :
• Les tests d’utilisabilité en flux tendu, associés ou non à des A/B testings, permettent de proposer un produit actualisé.
• Les analyses produits à travers les données de comportements (taux d’utilisateurs, taux d’abandon, les taux d’activation).
• Les enquêtes d’écoute et de rétroaction continue, appuyées sur le NPS (Net Promoter Score, le CSAT (Score de satisfaction client) ou le CES (Score d’effort client).
• L’utilisation de données issues de la CX, comme les tickets d’assistance client, les rapports de bugs ou la connaissance des profils clients et de leurs habitudes.
• Enfin, les entretiens continus avec les utilisateurs peuvent enrichir les études ponctuelles avec de nouvelles informations qui aideront à prioriser votre feuille de route produit, tout en contribuant au fonctionnement agile dans l’ensemble de votre organisation. Ils participent également à créer une culture d’entreprise axée sur la recherche au sein des équipes.
La continuous research en 5 cas
Retour sur des cas d’école, dans lesquels le management de la trouvaille a joué un rôle prépondérant. La particularité de ces entreprises ? Elles ont su tirer parti de la product discovery pour encadrer le développement de produits, services ou fonctionnalités authentiquement innovants.
Google améliore les produits et services développés à partir des données comportementales collectées au gré de l’utilisation de ses produits et services. Ses solutions sont en constante évolution et pas une semaine ne passe sans qu’une mise à jour soit mondialement déployée. Comment un tel rythme est-il envisageable et tenable sur le temps long ?
Google a organisé ses équipes produit de manière à ce qu’elles puissent toujours avoir un œil sur les données comportementales des utilisateurs, pour ajuster leurs solutions aux signaux faibles et tendances émergentes. Elles expérimentent, conduisent des A/B testings, et rassemblent continuellement de nouveaux jeux de données pour comprendre aussi finement que possible la manière dont les utilisateurs s’approprient leurs produits et perçoivent leurs services.
Le résultat : les multiples itérations annuelles de son algorithme de recherche constituent un exemple particulièrement emblématique de ce que peut la product discovery quand elle est soutenue par une organisation stimulant la recherche continue.
Amazon
De la même manière, Amazon a placé la compréhension des logiques d’usage et des préférences utilisateurs au cœur de sa mission. Pour ce faire, la firme conduit des tests d’utilisabilité en flux tendu, croisés à des A/B testings, qui lui permettent de collecter des données ad hoc et d’améliorer progressivement l’expérience d’utilisation proposée par sa plateforme.
Le résultat : Cette recherche continue est, par exemple, mobilisée pour améliorer son moteur de recommandation et la pertinence des appariements proposés. En se donnant les moyens de traquer les comportements navigationnels des usagers et leurs historiques d’achats pour en déduire leurs habitudes et leurs préférences, les équipes produit se donnent aussi les moyens d’améliorer pas à pas la qualité du service proposé et, in fine, de construire le succès qu’on connaît à la plateforme.
Les services de Meta (Facebook, Instagram et Whatsapp), ont érigé la recherche utilisateur en mot d’ordre. Pour chacune de ces plateformes, ils inventent des paramètres et développent des méthodes propriétaires permettant la collecte de données qualifiées autour des attentes des utilisateurs vis-à-vis de leurs produits. Dans cette optique, les équipes produit vont jusqu’à conduire des recherches exploratoires articulant ainsi données quantitatives et qualitatives. Par exemple, loin de se reposer sur ses lauriers, Facebook a toujours une série d’entretiens utilisateurs sur le feu.
Le résultat : cette pratique de l’entretien continu permet aux équipes produit de disposer, quand le besoin s’en fait sentir, de matériaux neufs, à jour et pertinents pour orienter l’optimisation technique ou ergonomique du News Feed.
Netflix
Au fil des années, Netflix a lourdement investi dans la recherche utilisateur et ses équipes se sont progressivement structurées de manière à pouvoir étudier les préférences de ses utilisateurs de manière continue. La pratique est largement documentée, la plateforme utilise aujourd’hui les données de visionnage, les notations recueillies et les autres interactions quantifiées pour monitorer la manière dont ses utilisateurs interagissent avec les contenus qui leur sont présentés.
Le résultat : la plateforme adapte sa manière de calculer les recommandations, affine le design de son interface, explore de nouvelles stratégies de rétention ou d’engagement.
Spotify
Spotify s’est distingué des plateformes d’écoute concurrentes en misant sur une approche centrée utilisateurs et en permettant un haut degré de personnalisation des contenus musicaux suggérés. La plateforme collecte en permanence des données d’interaction (recherche, playlists, relations, etc.) et des données d’écoute (fréquence, répétition, etc.) pour comprendre les préférences des utilisateurs et leur suggérer des morceaux adaptés à leurs goûts personnels.
Le résultat : la recherche continue a permis aux équipes produit de découvrir les paramétrages optimaux pour aligner le paramétrage de l’algorithme de recommandation aux attentes des utilisateurs.
Au-delà des GAFAM
Il est souvent facile de parler du succès des géants mais toujours difficile de mettre en place les bonnes pratiques qu’ils observent. Alors, concrètement, que faut-il faire pour stimuler la product discovery ?
• Sensibiliser les équipes produit aux méthodologies de la recherche utilisateur pour qu’elles puissent les appliquer de manière autonome ;
• Transmettre le goût de l’enquête, de l’hypothèse et de l’investigation ;
• Partager un souci de l’interrogation – quitte à ce que la réponse mette du temps à émerger ;
• Organiser les ressources humaines afin qu’elles soient à même de travailler efficacement selon ce mode de fonctionnement ;
• Établir des protocoles clairs pour l’ensemble des collaborateurs qui, soudainement, voient le champs de leurs initiatives s’élargir ;
• Monitorer les résultats de ces recherches décentralisées, car le déploiement d’une découverte continue passe aussi par un training continu des équipes à embarquer dans l’aventure !
Plus qu’un simple effet de mode, la recherche et la découverte continues supposent un changement de paradigme pour les entreprises, une révision de la manière dont elles envisagent la recherche.