L’UX design pour tou·te·s ?
Oui, on utilise le point médian. Et on sait que parfois, ça fait débat.
On sait aussi que l’inclusion est à la mode et qu’on est pas parfait·e·s. Alors, pour écrire cet article sur l’UX inclusive, on a commencé par se remettre en question et par se former un peu.
L’objectif ? Ne pas donner de leçons, juste amorcer une réflexion, car, pour vraiment concevoir des produits et services pour tou·te·s, il faut bien commencer quelque part. Et parce qu’en UX, être inclusif, c’est être user-centric et se mettre à la place des utilisateurs, tou·te·s les utilisateur·rice·s.
On a donc choisi de vous parler d’UX accessible, à destination des personnes en situation de handicap, mais aussi d’UX inclusive, c’est-à-dire à destination du public le plus large possible.
L’UX inclusive, c’est prendre en compte les critères les plus divers pouvant caractériser une personne, particulièrement les critères discriminants : handicap (temporaire ou permanent), âge, genre, orientation sexuelle, origine sociale, origine géographique, appartenance religieuse, etc.
On est allés voir les bons élèves de l’UX inclusive, et, pour se lancer, on vous propose une réflexion sur trois aspects : représenter, rendre accessible et faire comprendre.
1. Représenter
Dans les produits et les services qu’on conçoit, il y a souvent des moments où l’utilisateur·rice est incarné·e, mentionné·e, représenté·e, ne serait-ce que par un pronom, un accord à la fin d’un adjectif, ou un avatar.
Aussi, lorsqu’il est nécessaire d’incarner les utilisateur·rice·s, la bonne pratique est de donner le plus de choix possibles.
WhatsApp fait par exemple le choix de proposer des emojis divers en termes de couleurs de peau, de genres, d’orientations sexuelles, de corpulence, d’handicaps, d’âges. La messagerie a même récemment sorti un homme enceint.
L’application d’apprentissage des langues Duolingo met en scène dans ses exercices des personnages très variés en termes de genre, style, culture, etc. Même les phrases utilisées dans les exercices sont inclusives, variant notamment les genres des personnes évoquées.
LinkedIn propose aussi désormais d’indiquer vos pronoms sur votre profil et les ressources comme En Inclusif permettent d’apprendre à employer une formulation inclusive ou neutre dans les contenus écrits.
Penser inclusif dès le début
Classes sociales, schémas familiaux, parcours éducatifs et professionnels, cadres de vie, environnements socioculturels, journées-types, handicaps potentiels : les utilisateur·rice·s sont varié·e·s, et leurs quotidiens peuvent être très loin de ceux des concepteur·rice·s.
Aussi, pour Lou Downe, être inclusif·ve, c’est avant tout former des équipes de conception inclusives, avec des personnes concernées présentes en amont des phases de conception. C’est aussi le point de vue de l’architecte et designer américain Michael Graves, qui avait demandé à son équipe de designers d’expérimenter la vie en chaise roulante pendant une semaine. Ben Swire, ancien design lead chez IDEO, explique quant à lui comment le point de vue d’un enfant a pu améliorer un processus de design.
L’important est donc de challenger son spectre de personas pour qu’il soit vraiment complet. Par exemple, la boîte à outils d’accessibilité numérique du gouvernement canadien inclut d’emblée des personas handicapés.
À l’inverse, Indi Young prend le parti pris du neutre et recommande notamment de retirer les critères d’âges, genre, ethnicité, localisation des personas, pour se concentrer uniquement sur les variables comportementales. Dans un article de 2016, elle recommande notamment de les rédiger à la première personne pour éviter toutes suppositions, raccourcis ou stéréotypes.
Enfin, pour introduire une considération écologique dans toutes ses phases de réflexion, le site Green the web suggère d’inclure systématiquement la Nature parmi les personas. Il propose un template pour démarrer cette pratique surprenante mais garante d’une conception centrée sur l’environnement.
Exemple du persona de “Dame Nature”.
2. Rendre accessible
Quel que soit le produit ou le service (physique ou numérique), il doit être pensé pour tou·te·s les utilisateur·rice·s indépendamment de leur situation économique, sociale, physique ou mentale.
En France, l’accessibilité est plus ou moins bien encadrée par des lois, comme celle du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui établit des normes PMR pour les bâtiments recevant du public ou encore les RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité) dans le cadre de l’accessibilité numérique.
Mais ces lois ne sont pas toujours appliquées ou applicables par et à toutes les entreprises.
Le RGAA, par exemple, n’est obligatoire que pour les entreprises dont le chiffre d’affaires excède un certain seuil et la loi de 2005 est très souple pour les infrastructures anciennes. C’est le cas du métro parisien dont seulement 3% du réseau est accessible aux personnes à mobilité réduite.
Pourtant, accessible ne veut pas forcément dire moins beau, plus encombrant ou plus compliqué. Au contraire, penser inclusion en design permet, à long terme, de satisfaire un plus large spectre d’utilisateur·rice·s. De nombreuses inventions qui étaient à l’origine destinées à rendre des produits ou des services plus accessibles font aujourd’hui partie intégrante de nos habitudes, simplement parce qu’elles sont plus pratiques (clavier, téléphone, etc).
Une approche holistique de l’accessibilité
Rendre accessible, ce n’est pas (seulement) prévoir des rampes d’accès et des portes larges pour les bâtiments, ou préférer une police d’écriture plus grande et plus contrastée. Il s’agit de penser au bien-être des utilisateur·rice·s, à leurs habitudes, aux contraintes qu’ils ou elles pourraient rencontrer.
Par exemple, les auto-tests Covid dont la lecture des résultats se fait uniquement par la vue : il est impossible pour des personnes malvoyantes de les utiliser en complète autonomie.
Un certain nombre de loisirs peuvent également être rendus très inaccessibles faute d’aménagements. Cette année, l’Australian Open a permis à son public malvoyant de suivre les matchs de tennis à travers un système audio plus descriptif et plus immersif que la traditionnelle radio. De son côté, ce parc naturel colombien propose à ses visiteurs malvoyants de découvrir sa faune à travers une expérience auditive. Les visiteur·euse·s du Castel Sant’Elmo à Naples ont quant à eux pu découvrir sur la balustrade du château, dans les mots poétiques de l’écrivain italien Giuseppe de Lorenzo, la description en braille de la vue qu’il offre sur le Mont Vésuve.
En UX et en UI, de nombreuses solutions existent pour diversifier les moyens d’accéder à un service. De plus, c’est une approche qui peut bénéficier à une multitude d’autres utilisateur·rice·s. Dans le cas des transports, les infrastructures accessibles aux personnes à mobilité réduite profitent également aux personnes âgées, enceintes ou tout simplement chargées.
L’entreprise ferroviaire canadienne VIA Rail l’a bien compris : une nouvelle flotte de trains plus accessibles (des sièges et des couloirs plus larges, des élévateurs pour fauteuils roulants, des numéros de sièges clairement indiqués, des informations en braille, des couleurs épurées, etc.) circulera entre les villes de Québec et Windsor à partir d’octobre 2022.
En termes d’emploi, l’accessibilité est un enjeu majeur. Certains établissements de restauration comme Le Café Joyeux ou Les restaurants Dans le Noir ont par exemple fait le choix d’employer exclusivement des travailleur·se·s handicapé·e·s. L’UX inclusive c’est aussi rendre accessible à tous les porte-monnaies, tous les quartiers, tous les genres, tous les corps, tous les devices, etc.
À Marseille par exemple, le Mucem a mis en place un service de bus gratuit pour faciliter l’accès des personnes vivant dans des zones prioritaires (28% de la population marseillaise). Le voyage se fait dans un bus des années 70, entièrement restauré : une expérience unique et inclusive !
Côté mode, l’inclusion est un sujet qui fait de plus en plus parler : un éventail de tailles parfois très limités, des vêtements inadaptés aux personnes en situation de handicap, etc. Adidas a ainsi entièrement revu sa collection de brassières de sport et propose actuellement 43 formes différentes afin de s’adapter le plus possible aux différents corps et poitrines. Target propose maintenant une gamme de vêtements adaptés pour les enfants en situation de handicap : des vêtements qui s’enfilent différemment et facilement, sans couture, avec des matières plus adaptées d’un point de vue sensoriel.
Enfin, inclure c’est accueillir. Proposer des menus prenant en compte les restrictions alimentaires, religieuses ou non, facilite l’accès des enfants à l’éducation. Concevoir un réseau de transport qui encourage les mobilités douces sans exclure les personnes à mobilités réduites et les personnes qui habitent loin des centre-villes, c’est ouvrir l’accès à des emplois, des loisirs, des possibilités plus variées pour tou·te·s. Permettre à tou·te·s de passer le permis de conduire, évite de le réserver aux personnes aisées. Et ainsi de suite.
3. Faire comprendre
Parallèlement, en UX, être inclusif c’est faire en sorte d’être compris, dans ses contenus comme dans son fonctionnement, par tou·te·s les utilisateur·rice·s quels que soient leur langue, leur âge ou leur niveau scolaire.
Les réseaux sociaux demandent ainsi d’emblée à leurs utilisateur·rice·s de choisir la ou les langues qu’ils ou elles parlent.
TikTok et Twitter permettent à leurs utilisateur·rice·s de choisir leur(s) langue(s) et celle(s) du contenu consommé.
La compréhension se retrouve notamment dans la communication avec l’utilisateur·rice via un travail d’UX writing, l’utilisation de langages (plus ou moins) universels (pictogrammes, code de la route) ou encore la systématisation des sous-titres et de la traduction (langues étrangères, braille et langues des signes).
Ainsi, les pictogrammes de l’International System Of TYpographic Picture Education sont partout : dans la rue, les aéroports, les centres commerciaux. Si vous cherchez une issue de secours ou des toilettes, vous savez quel signe chercher, même si vous êtes à l’étranger.
Il s’agit aussi de mettre l’utilisateur·rice en condition de comprendre et d’utiliser les services et produits concernés.
Par exemple, faire les courses peut rapidement devenir un calvaire pour les personnes neurodivergentes. Depuis quelques années, la grande distribution britannique (Tesco, Morrisons) a mis en place des créneaux horaires dédiés (silencieux notamment) à ces personnes, leur permettant un véritable confort et de l’autonomie pour cette activité essentielle.
Si certaines personnes intègrent très naturellement les principes de fonctionnement d’une interface ou d’une device, les personnes âgées ou moins initiées aux usages du numérique peuvent être désemparées face à des fonctionnalités qui ne sont pas conçues pour ce type de publics. Par exemple, l’utilisation systématique de moyens de paiement virtuels, directs, en temps réel peut-être déroutante voire effrayante pour une personne mal à l’aise avec un smartphone.
Permettre aux utilisateur·rice·s d’être en maîtrise, c’est leur donner de l’indépendance. C’est ce que propose Ordissimo : une gamme informatique simplifiée au maximum, avec une importante fonctionnalité de zoom et des touches indiquant en toutes lettres « Majuscule », “Copier”, “Coller”. De quoi changer la vie de tous nos grands-parents.
Le succès des services de simplification administrative, comme Alan (la mutuelle qui supprime les frictions des démarches de remboursement des soins de santé), s’explique ainsi largement par l’enjeu de compréhension. Non pas que l’utilisateur·rice ne soit pas capable de comprendre la démarche et ses étapes. Mais celle-ci implique, en plus d’une importante charge cognitive qu’il est plus confortable de déléguer, la maîtrise d’un vocabulaire associé, d’une connaissance des organismes, de leurs rôles, de leurs procédures.
Ainsi, faire comprendre, c’est aussi former les gens à effectuer des démarches essentielles (remplir une feuille de soin, une déclaration d’impôts, une demande d’allocation) ou à utiliser l’outil informatique. C’est notamment l’objectif de France services.
Enfin, le choix du langage est crucial : si un contenu, une description ou un mode d’emploi proposent un niveau de langage soutenu ou un vocabulaire technique, ils ne seront compris que par une portion infime de leurs publics. Donc, faire comprendre, c’est sciemment employer une communication à vocation universelle, sur tous les plans.
Ce qu’on retient
Pour l’instant, l’inclusion est davantage un chemin qu’une destination. L’instauration de services qui soient vraiment universels n’est pas évidente. Déjà, parce qu’une accessibilité peut en empêcher une autre : par exemple, l’écriture inclusive est actuellement difficilement lisible par les lecteurs d’écrans.
De plus, le service ne peut se passer d’un cadre de bonnes pratiques pour fonctionner correctement. Pour reprendre l’exemple des lecteurs d’écrans, ceux-ci ne peuvent fonctionner à 100% que si les producteur·rice·s de contenus systématisent la description de leurs visuels et emojis.
Les designers d’interfaces peuvent notamment intervenir à ce niveau pour renforcer ce type de pratiques, par exemple en proposant des champs dédiés à la description et à l’enregistrement audio associés à chaque visuel.
“Done is better than perfect” : il s’agit davantage d’avancer doucement mais sûrement sur le chemin de l’accessibilité que de chercher l’irréprochabilité. Au contraire, adopter un système de conception qui permet l’évolution constante et l’intégration de nouvelles fonctionnalités d’inclusion est un moyen plus sûr de se rapprocher des bons élèves, d’entretenir la conversation et de continuer à apprendre sur le sujet.