“Green Design” ou greenwashing ?
A quelques semaines de la COP 27 qui se tiendra à Charm el-Cheikh en Égypte du 6 au 18 novembre, retour sur la notion décriée du greenwashing.
Contrairement aux apparences, le procédé pourrait bien nous donner quelques leçons d’écologie sur les do’s & dont’s applicables au design numérique, afin d’éviter d’être dans le rouge.
L’état des lieux du greenwashing
Du côté des utilisateurs
Si les français·e·s s’intéressaient déjà à la transition écologique (en 2021, 76% d’entre eux·elles se disaient davantage impliqué·e·s dans la réduction de leur empreinte carbone), les événements climatiques de cet été n’ont fait que renforcer leur engagement.
Selon un sondage Odoxa, 77% des français·e·s “estiment que les perturbations climatiques vont devenir régulières si nous ne changeons pas radicalement notre manière de vivre et de consommer” et la majorité d’entre eux·elles ont le sentiment que ni les entreprises, ni l’État ne les encouragent en ce sens.
Face à ce constat, les entreprises se trouvent face à l’injonction sociétale de s’adapter à ses nouveaux comportements, tout en faisant évoluer leurs pratiques.
Du côté des entreprises
La tentation est alors grande de céder au procédé du greenwashing pour préserver son image et conserver ses publics plutôt que de répondre concrètement aux enjeux écologiques.
C’est d’ailleurs ce que dénonce le Carbon Disclosure Project (CDP) qui publie chaque année un classement des entreprises selon leurs actions en faveur de l’environnement. Le score s’appuie sur plusieurs enjeux écologiques ou climatiques : le changement climatique, la préservation des forêts et la sécurité de l’eau.
Sur 12 000 entreprises évaluées (16 870 n’ont pas souhaité répondre ou n’ont pas fourni suffisamment de données), seulement 272 ont reçu les meilleurs résultats. Parmi elles, Danone (française), Firmenich (suisse), Fuji Oil Holding (japonaise), HP (américaine), International Flavors & Fragrances (américaine) ou encore L’Oréal (française).
Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants quand on sait que 100 entreprises représentent à elles seules 71% des émissions de gaz à effet de serre mondiales (selon un rapport du CDP datant de 2017).
Qu’en est-il du design numérique ? Peut-il enrichir son cahier des charges en intégrant des exigences éco-responsables ? L’UX durable existe t-il ? Cette transformation impliquerait des impératifs de conception en phase avec les valeurs « vertes » des usagers tout en dépassant l’écueil du greenwashing.
Mais qu’est-ce que le greenwashing ?
Ce mot-valise est l’association des mots green (vert en anglais) et washing (laver). On peut également le lier au terme whitewashing (badigeonner un mur en mauvais état avec de la chaux) qui est utilisé de façon familière pour qualifier la dissimulation d’informations négatives ou incriminantes sur quelqu’un ou quelque chose.
D’après le chercheur géologue Dahl Richards, le greenwashing apparaît pour la première fois dans les années 80 pour décrire une pratique consistant à communiquer sur un engagement environnemental de manière injustifiée ou exagérée, dans le but de parfaire son image.
Éco-conception, le vert à moitié vide
Ainsi le greenwashing, en UX ou en général, est essentiellement une pratique marketing ou de communication. On le retrouve dans les multiples annonces et campagnes censées affirmer les engagements écologiques des géants de la tech notamment.
Fin 2020, Amazon a lancé son label Climate Pledge Friendly qui réunit des objets certifiés “éco-responsables”. De leur côté, Google, Microsoft et Apple par exemple, affirment travailler sur la réduction de leurs émissions carbone et ont communiqué leurs objectifs zéro carbone pour les prochaines années.
La réalité est que leur modèle économique est loin d’être eco-friendly. Nous vous en parlions déjà dans notre article sur la conception des sites basses consommation, le numérique représente une part importante des émissions de gaz à effet de serre mondiales (environ 3% des émissions mondiales et 10% de la consommation mondiale d’électricité est liée à Internet).
Outre la fabrication des équipements numériques qui contribuent fortement aux émissions carbone et à l’épuisement des ressources naturelles (Apple a récemment lancé son nouvel iPhone 14), les immenses data centers des GAFAM représentent également d’importants gouffres énergétiques.
En effet, ces centres de données de dizaines d’hectares nécessitent des quantités astronomiques d’eau et d’électricité. En août dernier, un média hollandais a révélé qu’un data center de Microsoft, situé dans le nord du pays, avait consommé 84 millions de litres d’eau l’année dernière pour rafraîchir ses serveurs.
Du côté de Meta (ex Facebook), la course au metaverse ne risque pas d’améliorer les choses. Combinaison de réalité virtuelle et de réalité augmentée, la nouvelle lubie de Mark Zuckerberg implique l’utilisation d’équipements numériques et de réseaux encore plus puissants.
Du greenwashing au waking (up)
Il revient ainsi aux entreprises de non seulement s’adapter aux nouvelles attentes des utilisateur·trice·s mais aussi de faire évoluer leurs propres pratiques, sans tomber dans le greenwashing.
Le mot d’ordre est la sobriété numérique !
La sobriété numérique est un concept, introduit par l’ingénieur et fondateur de GreenIT Frédéric Bordage, qui consiste à encourager un usage modéré du numérique dans le but de réduire son empreinte carbone. L’ADEME a récemment publié un guide intitulé En route vers la sobriété numérique.
On y retrouve des conseils pour “profiter du numérique en gardant le contrôle”, tels que :
- Éteindre ses appareils quand on ne les utilise pas (les laisser en veille ne suffit pas),
- Garder ses équipements plus de 4 ans pour en réduire l’impact environnemental ou trouver des alternatives au neuf,
- Privilégier la Wifi aux données cellulaires,
- Télécharger ses vidéos plutôt que les regarder en streaming et éviter le visionnage en HD,
- Privilégier l’audio plutôt que la vidéo.
Des habitudes que les entreprises devraient encourager chez les utilisateur·trice·s en optimisant leur parcours utilisateur et en abandonnant les fonctionnalités superflues qui consomment inutilement de l’énergie (voir le cas de Spotify).
Le guide d’éco-conception des Designers Éthiques est d’ailleurs un excellent outil pour les designers et web développeurs qui souhaitent se former dans la conception d’interfaces low-tech.
Petit lexique du “green design”
- Le Green coding :
Techniques et solutions de programmation servant à créer des logiciels moins gourmands en énergie. Il nécessite des web développeurs qu’ils soient plus attentifs au contenu et à la longueur de leurs codes par exemple.
- Le Green hosting :
L’hébergement web (web hosting en anglais) est à la base du fonctionnement même d’Internet. Les hébergeurs mettent des espaces de stockage à disposition des sites web afin qu’ils puissent être publiés sur Internet. Qui dit stockage de données, dit data centers. Les hébergeurs web sont donc d’immenses data centers permettant de stocker toutes les données de tous les sites Internet du monde.
Le green hosting consiste à concevoir et choisir des hébergeurs (et donc data centers) plus respectueux de l’environnement. Cela passe notamment par l’utilisation d’énergies renouvelables pour les alimenter, d’alternatives à la climatisation pour refroidir les serveurs, etc.
- Le Green nudge :
Le nudge (coup de coude, en français) est une technique, théorisée en 2008 par l’économiste américain Richard Thaler, qui permet d’influencer les comportements en activant des leviers cognitifs. Le but du green nudge est alors d’encourager les comportements en faveur de l’écologie.
- Design durable ou Design écologique :
S’ils se rapprochent fortement, les deux termes ne veulent pas dire exactement la même chose. Un design durable signifie que les ressources utilisées dans la conception d’un produit l’ont été de façon à ne pas nuire à l’accès des futures générations.
Le design écologique, de son côté, signifie qu’un produit a été conçu dans le respect de l’environnement et affiche une faible empreinte carbone. Le terme est plus large que celui de durabilité. Un design écologie peut aussi être durable.
Greenwashing, difficile de s’en débarrasser
Aujourd’hui, le public est plus que jamais conscient de l’urgence climatique. Les entreprises l’ont bien compris et redoublent d’annonces et de communiqués pour partager leurs engagements et leurs ambitions écologiques.
Malheureusement, il y a souvent un décalage entre les promesses et la réalité des comportements.
Entre épuisement des ressources naturelles, consommation abusive d’énergie, gaspillage industriel et obsolescence programmée, le greenwashing est encore bien présent chez les acteurs du numérique.
Il revient alors aux gouvernements et aux institutions d’agir comme, par exemple, la Commission européenne et sa proposition de loi de l’automne 2022 visant à rendre les produits électroniques plus durables et ainsi favoriser l’éco-conception.
Mais une législation contraignante est-elle donc la seule solution pour forcer les entreprises à faire évoluer leurs pratiques ? La COP27 qui se tiendra prochainement en Égypte pourrait nous donner des indications sur le sujet, notons cependant que le numérique ne semble pas au programme des principales thématiques abordées.