La règle des trois clics, une fausse
bonne idée ?
“Gagner un clic” qu’est-ce que ça veut dire ?
Cette demande client, souvent émise lors des réunions d’échange sur les maquettes d’interfaces, signifie en fait “économiser” des clics et réduire le nombre de clics d’un parcours utilisateur sur une interface.
Cette question s’ancre notamment dans la règle des trois clics, pour laquelle il y a deux cas d’application :
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- Il faut qu’en trois clics l’utilisateur·rice puisse accéder au site.
- Il faut qu’en trois clics, l’utilisateur·rice puisse trouver l’information qu’il ou elle cherche.
D’où vient la règle des trois clics ?
Dans Taking your talent to the web (2001), le conférencier en webdesign Jeffret Zeldman évoque cette règle comme une réponse au désir de gratification immédiate des usagers. “S’il ou elle ne trouve pas ce qu’il ou elle cherche en trois clics, l’utilisateur·rice va aller sur le site de quelqu’un d’autre.” Cette assertion sera critiquée par Page Laubheimer (Nielsen Norman Group) qui déplore l’absence de données susceptibles de l‘étayer.
La règle des trois clics viendrait donc des années 2000, quand les pages mettaient beaucoup plus de temps à charger. Dans ce cas de figure, pouvoir accéder à une information rapidement (sans avoir à cliquer et changer de page de nombreuses fois pour atteindre l’information ou l’objectif souhaité·e) améliore considérablement l’expérience utilisateur.
La règle des trois clics est-elle une règle d’or ?
Dans son best-seller, Lou Downe fait la distinction entre les services transactionnels et les services impliquants.
Services transactionnels
Un achat en ligne est un service transactionnel. Le tunnel d’achat le plus célèbre pour sa rapidité est sans doute Amazon 1-Click. L’idée de facturation, livraison et paiement en un clic était alors révolutionnaire. Acheter en un clic réduit en effet la charge cognitive et prévient les hésitations de l’acheteur·euse : il n’y a pas de champs à remplir, pas de saturation d’informations, pas de surprise sur la durée trop longue du processus.
Pour les achats qui ne nécessitent pas une réflexion approfondie, l’expérience utilisateur est rendue plus fluide. Enfin, sur de petits écrans comme les mobiles, l’achat en un clic est à la fois plus agréable et plus pratique (la visibilité et la taille du bouton “acheter”, et des call-to-action en général, sont donc cruciales).
Mais 1-Click a aussi été largement critiqué car les données récoltées étaient un atout majeur pour le lancement concomitant d’Amazon Marketplace, leur plateforme de mise en relation d’acheteur·euse·s et de vendeur·se·s tierces.
Outre l’encouragement à l’achat compulsif, 1-Click a ainsi ouvert la porte à l’économie des données. Breveté dès 1999 par Amazon en tant que méthode commerciale protégée, le service fourni et sa fluidité justifient la récolte de données auprès des utilisateur·rice·s.
Parcours d’achat ordinaire vs. parcours 1-Click
La prise de rendez-vous médical (comme Doctolib), bien que n’étant pas de la vente en ligne, constitue également un service transactionnel : l’objectif de l’utilisateur·rice est d’avoir rapidement et facilement son rendez-vous. Un moyen d’atteindre cet objectif est par exemple l’intégration d’indications dans la barre de recherche avant même la première action de l’usager (visuel 1 ci-dessous : “médecin, établissement, spécialité…”) et de suggestions quand l’usager commence à taper (visuel 2 : “M. Denis Boulanger”). Ces éléments guident l’utilisateur·rice et accélèrent le processus.
Visuel 1 : Extrait de parcours Doctolib
Visuel 2 : Extrait de parcours Doctolib
Services impliquants
Un service impliquant nécessite une prise de décision. Il s’agit par exemple d’une démarche administrative (CAF) ou du dépôt d’un dossier auprès d’un service public (mairie). Ces cas de figure peuvent comporter des formulaires demandant beaucoup d’informations.
Regrouper la collecte de toutes ces données sur une seule page diminue effectivement le nombre de clics. Cela n’améliore cependant pas nécessairement l’expérience de l’utilisateur·rice, qui est déjà dans une procédure à fort impact sur sa vie (allocations par exemple).
Pour lui faciliter les choses, on peut par exemple lui permettre de se concentrer sur une seule tâche à la fois, en proposant un parcours décomposé en étapes ou encore une classification par catégorie. Paradoxalement, le ressenti peut être celui d’un processus moins long parce qu’il est en étapes et engendre moins de charge cognitive.
Il y a divers moyens de décomposer un parcours pour l’utilisateur·rice, à commencer par indiquer dès le début cette découpe par un stepper, au-dessus de la ligne de flottaison. On peut aussi utiliser des pop-ins pour rester dans le parcours tout en distinguant le degré d’importance ou de conséquence d’une étape, en signalant par exemple à l’utilisateur·rice quand il ou elle valide s’engage juridiquement (déclaration sur l’honneur) ou ne pourra plus revenir en arrière (validation).
Le stepper permet à l’utilisateur·rice de se concentrer sur une seule tâche à la fois
Un exemple connu de bonnes pratiques est le parcours d’étapes courtes d’Airbnb : au lieu d’un long formulaire avec beaucoup de questions d’emblée, le parcours est découpé en une série d’écrans. Ainsi l’utilisateur·rice n’est pas dépassé·e par une tâche trop importante d’un coup. Cela réduit drastiquement le risque qu’il ou elle renonce à la tâche et quitte tout simplement le parcours.
Parcours Airbnb décomposé en écrans-étapes
La SNCF réconcilie le besoin de rapidité du processus d’achat d’un billet de train et la nécessaire décomposition d’un parcours aux critères multiples (date, horaires, profil d’usager). Le parcours d’achat est ainsi découpé en étapes qui restent modifiables jusqu’à la validation finale : on peut donc changer la date du billet sans tout recommencer, ce qui fluidifie l’expérience et évite le découragement de l’utilisateur·rice.
Navigation sans étape catégorisée vs. décomposée en tâches
Une étude quantitative de Center Centre montre qu’en faisant faire des tâches longues ou courtes à des utilisateur·rice·s, les personnes testées n’abandonnent pas la navigation après trois clics mais continuent leur parcours (qu’ils soient des échecs ou non), parfois même après 25 clics.
On peut en conclure que le nombre de clics n’assure ni la réalisation d’une tâche, ni son échec. Cette étude avait aussi pour objectif de déterminer si la satisfaction de l’utilisateur était en corrélation avec le nombre de clics : ce n’était pas le cas non plus.
6 bonnes pratiques alternatives à la “règle” des trois clics
1. Suivre scrupuleusement la règle des trois clics seulement si elle respecte d’abord les règles ergonomiques pour limiter le risque de créer des pages surchargées et polluantes visuellement pour les usagers. Si la solution choisie privilégie la règle des trois clics plutôt que les règles ergonomiques, il faut repenser la solution.
2. Soigner l’équilibre de l’arborescence fluidifie la navigation. L’organisation des informations en catégories et leur hiérarchisation ont un impact considérable sur l’expérience utilisateur et la facilité du parcours. Contentsquare remarque que la règle des trois clics peut bloquer la profondeur de navigation. Un fil d’ariane peut éviter cette difficulté.
3. Instaurer une signalétique de progression réduit le taux d’abandon. Les gens ont besoin de savoir où ils se trouvent au sein du parcours et combien de temps ils doivent encore y passer. Un stepper indiquant les différentes étapes du parcours et celles restantes évite l’abandon par lassitude et incertitude.
4. Travailler un UX writing (des indications verbales intuitives sur les interfaces) adapté et penser à l’affordance des libellés permet de véritablement guider les choix de l’utilisateur·rice. Comme le recommande Impact Plus, il faut éviter à tout prix d’être vague. Par exemple, Bank of America a retravaillé ses formulations de notifications.
5. Sélectionner des éléments à soumettre impérativement à la règle des trois clics assure l’accessibilité immédiate des informations clés. Ce sont les informations spécifiques recherchées par les utilisateurs, celles qui répondent directement à leurs questions et à leurs attentes. Si une personne cherche un site pour réaliser un devis de BTP, elle veut pouvoir accéder sans circonvolutions à une page lui proposant un bouton “faire un devis”.
6. Penser responsive pour s’adapter aux contextes et supports de navigation. IEEE et Contentsquare abordent l’importance de prendre en compte l’aspect multi-canal et multi-device des navigations, une problématique qui existait beaucoup moins à l’époque du texte de Zeldman, et qui rappelle aussi aux designers que l’accès au haut débit n’est pas universel.
La règle des trois clics n’a donc pas valeur de loi absolue en UX design : il est plus important d’être transparent avec l’utilisateur·rice, au sens large. Plus l’intention de la personne, sa compréhension du clic et le résultat de celui-ci sont alignés, plus l’expérience utilisateur est optimale.