Comment faire du bon design conversationnel ?
Le monde de l’IA conversationnelle est en effervescence : vous n’avez sans doute pas échappé à l’avènement de ChatGPT, ce modèle de langage capable de converser, de rédiger des mémoires, d’écrire des paroles de chansons… inquiétant ?
On vous rassure, ce n’est pas encore demain que l’IA nous asservira tous. On déconstruit quelques idées reçues et on vous explique comment le design conversationnel dépasse l’idée de la conversation humain-machine, avec Maaike Coppens, experte passionnée du sujet, conférencière et auteure du riche ouvrage Design conversationnel – Chatbots, phonebots, assistants vocaux…
Le design conversationnel ne se résume pas à ces outils appuyés, entre autres, sur l’IA. La discipline se fonde avant tout sur l’architecture de la conversation et des messages, c’est ici qu’interviennent alors les designers en conception de produits conversationnels. Ces experts travaillent en étroite collaboration avec l’entreprise pour concevoir des réponses aux questions de leurs utilisateur·rice·s, tout en portant les messages de la structure auprès de ses publics.
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Converser, oui, mais comment ?
Nous avons demandé à Maaike Coppens comment elle définirait le design conversationnel de manière accessible. Selon elle, deux questions en apparence simples guident la démarche, à l’image des conversations que l’on peut avoir dans la vie de tous les jours avec ses pairs : de quoi va t-on parler et comment ?
Plus précisément, il s’agit de la conception de conversations fluides et naturelles entre humain et machine. Le designer conversationnel va réfléchir en amont aux sujets à aborder, mais aussi à la manière de le faire. En tant qu’organisation cela revient à se demander : de quoi veut-on parler avec nos utilisateur·rice·s et de quelle façon voulons-nous en parler ?
Ce domaine du design est multidisciplinaire et va articuler différentes méthodes issues de l’UX design, de la linguistique, de la psychologie, du motion et du graphic design, afin d’analyser, modeler puis fluidifier les conversations entre l’humain et la machine.
Dans un deuxième temps intervient une phase d’analyse, pour comprendre comment s’est déroulée la conversation après l’implémentation et améliorer encore la fluidité des échanges.
Faire du “bon” design conversationnel
Maaike Coppens identifie trois grandes phases en plusieurs étapes, qui structurent le travail du designer :
- L’analyse de conversation en utilisant par exemple l’immersion pour une analyse de conversation en temps réel avec des agents humains.
- La conception de la conversation à proprement parler en employant différentes méthodologies pour :
- interviewer avec les décisionnaires de l’organisation et les utilisateur·rice·s afin de déterminer les sujets à aborder ;
- construire l’architecture de conversation (modèles et types de conversations, arcs narratif et conversationnel) ;
- définir l’identité et la personnalité du bot : figuratif ou non, sous forme de logo, genré ou non, etc. Cette étape peut passer par l’établissement d’un persona conversationnel pour aider à définir la marque conversationnelle, le tone of voice du bot en fonction du cas d’usage et des circonstances (plainte client ou démarche de vente par exemple), mais aussi ses valeurs et sa voix ;
- l’UX writing, vient ensuite, essentielle à la réussite d’une expérience conversationnelle selon Maaike Coppens, afin d’apporter de la cohérence à l’ensemble des messages et échanges.
Les étapes précitées participent au modelage du design d’expérience de l’utilisateur·rice·s, à travers les options de conversations qui lui sont offertes.
- Vient enfin une phase de fluidification continue, afin d’améliorer la conversation et d’optimiser le modèle conversationnel en s’appuyant sur l’AB testing, les test d’usabilité à distance et en situation ainsi que sur l’analyse – des plateformes existantes, des parcours conversationnels standards et de ceux qui sont caduques.
Et l’UX dans tout ça ?
Elle est bien présente, car le design conversationnel reste user centric. L’UX intervient notamment en phase deux, à travers l’UX research, pour comprendre les utilisateur·rice·s finaux à l’appui de focus groupes, d’interviews, de psycholinguistique.
Cette étape permet d’analyser les besoins de l’utilisateur·rice, ses usages linguistiques, de comprendre son environnement (contexte) de définir son parcours sur l’interface pour concevoir son parcours conversationnel. Nous retrouvons alors le persona utilisateur.ice, que les insights issus de la phase de recherche permettront de définir, mais aussi d’aider à la rédaction des scénarios conversationnels et de l’UX writing.
Cycle de conception itératif (in : « Design conversationnel – Chatbots, phonebots, assistants vocaux… » )
IA, technologie et design conversationnel
Le design conversationnel a pour finalité de concevoir l’expérience conversationnelle en s’aidant notamment des possibilités – de plus en plus impressionnantes – offertes par la technologie. Nous pensons aux modèles de langages larges (LLM), dont fait partie GPT 3.5, la dernière version de ChatGPT conçue par OpenAI. On vous explique !
Le cas des chatbots
Le fonctionnement des chatbots – interfaces conversationnelles textuelles en bon français – peut se baser :
- Sur des règles de conduite afin de guider l’échange de questions/réponses entre l’humain et la machine : si l’utilisateur·rice dit A, le bot répond B. Cela peut se faire via une interface visuelle, comme une page web ou une application. Ces choix de conception s’effectuent en amont à l’aide d’un arbre de décision.
- Le traitement du langage naturel. Il s’agit d’un modèle où, sur la base de datasets (jeux de données), et potentiellement du machine learning, la machine va classifier ce qui est dit par l’utilisateur·rice·s – puis chercher à formuler une réponse. Cette réponse peut être préétablie et écrite par le designer conversationnel (UX writing), provenir d’une base de données ou bien encore, dans le cadre de modèles de langages larges (LLM) être générée par l’IA même. Dans ce cas, on parlera de génération du langage naturel.
Différents agents conversationnels : ChatGPT, Siri, Alexa, Ouibot, LamDA
Le cas de ChatGPT
ChatGPT sait converser sur une large gamme de sujets généraux. Cela s’appelle le Large Model Language (LLM). Cela grâce à un machine learning (apprentissage de connaissances antérieures) nourri par une immense base de données. Ce corpus dithyrambique se base sur la façon réelle de parler des humains, des conversations du quotidien aux rapports officiels. La finalité en est de pouvoir entretenir des conversations avec les utilisateur·rice·s sur des sujets variés.
Le fonctionnement de ChatGPT par OpenAI grâce au machine learning (traduit par nos soins).
Les résultats sont impressionnants, mais Maaike Coppens nuance : ChatGPT sait certes générer des réponses contenant des informations explicites et factuelles, mais sans aucune notion de sens implicite, de ce qui est réel ou non. Sur la base de connaissances apprises, il ne sait pas avoir de conversation passionnées.
Coppens ajoute qu’aujourd’hui, ces modèles de langage et d’AI, n’ont pas la connaissance poussée d’un domaine spécifique ou d’une organisation par exemple, ils ne disposent pas d’expertise métier et ne peuvent donc pas prendre de décision stratégique, ils constituent cependant :
- Une aide à la rédaction qui peut être impressionnante ;
- Une aide à la recherche documentaire et à la génération d’idées sur un sujet ;
- Ils sont capables de converser sur une variété assez large de sujets généraux.
Coppens précise que si ChatGPT pourrait être perçu comme un moteur de recherche, il ne dispose pas d’une hiérarchie claire, sourcée et actualisée des résultats. Un point à garder à l’esprit lorsque l’on sait que le dataset (jeu de données employé en machine learning) de ChatGPT est borné à l’année 2021 : “Ce n’est pas un substitut à Google, le but d’un outil comme ChatGPT c’est la conversation, grâce à l’entraînement du modèle à converser avec l’utilisateur·rice·s sur des sujets variés. C’est pour cela que l’outil est ouvert au public afin de développer la recherche et l’état de l’art sur le sujet”.
Le conversationnel pour améliorer sa CX
Les entreprises sont confrontées à l’injonction de plus en plus pressante d’être constamment joignables par leurs client.e.s et utilisateur·rice·s. L’utilisateur·rice entend en effet pouvoir faire des démarches en dehors de ses heures de travail lorsqu’il est lui-même disponible, sans se heurter à la désagréable expérience de n’arriver à joindre personne.
Si l’IA conversationnelle est une solution plus explorée qu’auparavant par les entreprises, c’est aussi dans une démarche d’amélioration de la CX : pour qualifier des leads avant la mise en relation, diminuer le nombre d’appels à des services client parfois saturés… Ces points de friction (et de frustration !), si ils sont anticipés à l’aide du design conversationnel, permettent d’améliorer l’expérience client de façon significative en permettant à l’utilisateur·rice·s une autonomie maximum avant de solliciter un agent.
Le design conversationnel s’articule ainsi dans un projet plus global et stratégique de l’entreprise, qui est celui de sa mise en corrélation avec les attentes de l’utilisateur·rice·s (questions sans réponses, par exemple). L’objectif ? fluidifier les échanges entre une organisation et l’humain, au-delà de la conversation humain-machine.
L’IA conversationnelle, une menace pour les designers ?
Pas vraiment selon Maaike Coppens. Parfois confondus avec les copywriters (concepteurs-rédacteurs), les designers conversationnels peuvent aider à la prise de décision au-delà de la rédaction des prompts, ces questions ou réponses suscitant la réponse de l’utilisateur·rice·s et constitués d’une ou plusieurs phrases.
L’IA conversationnelle n’est à ce jour par capable de comprendre la logique business de l’entreprise ou de définir les objectifs stratégiques de cette dernière, à travers une application conversationnelle à destination de ses clients.
Exemples de décisions stratégiques qu’un modèle de langage ne peut pas (encore) prendre :
- Connaître les priorités de l’organisation ;
- Définir en amont les questions auxquelles l’utilisateur·rice·s ne trouve pas de réponses ;
- Définir les sujets dont on va parler et identifier en quoi ils sont importants pour les utilisateur·rice·s ;
- Instaurer des règles de conduite pour planifier et structurer la conversation ;
- Identifier les améliorations et actions qui vont permettre de fluidifier les échanges entre l’humain et la machine ;
- Acquérir une connaissance métier et secteur suffisamment poussée pour définir une stratégie de réponses.
Le conversationnel en 2023, ça dit quoi ?
En 2023, en contexte crisogène, il pourrait être tentant de mettre les projets design en sommeil, ou de déprioriser les budgets au profit du business first (attention ce n’est pas ce que conseille Forrester).
Maaike Coppens rappelle que l’esprit d’innovation s’épanouit sous la contrainte et les challenges ; selon elle, 2023 sera un terrain fertile pour des cas d’utilisation, non pour remplacer l’humain, mais pour un équilibre travail vie privée plus important (on vous en parle dans nos tendances 2023).
Quant aux évolutions notables du design conversationnel cette année, Coppens entrevoit :
- plus de stratégie et moins d’exécution standardisée pour plus d’efficacité et de justesse en réponse aux besoins de l’utilisateur.rice ;
- toujours plus d’avatars humains digitaux – qui parleront de plus en plus conversationnellement – une tendance qui va croître technologiquement ;
- des frameworks de conception qui prendront de plus en plus en en compte le contexte (de l’entreprise, mais aussi socioculturel, et l’environnement de l’utilisateur·rice·s) ;
- des initiatives de recherche utilisateur·rice plus poussées afin de gagner en fluidité conversationnelle et permettre aux utilisateur·rice·s d’accomplir ce qu’ils étaient venus faire dans la conversation ;
- le développement d’une mise en connexion optimisée entre l’utilisateur·rice et l’organisation à travers une logique conversationnelle.
Réinventer le dialogue avec l’utilisateur·rice
Selon Coppens, le conversationnel relève de “la psychologie humaine, de la perception de quelque chose ou de quelqu’un à travers la façon dont ils nous parlent, touchant ainsi à la corde sensible de l’interaction”.
Une conclusion lucide sur cet enjeu d’image pour les organisations, qui ne peuvent aujourd’hui ignorer le nécessaire dialogue avec leurs utilisateur·rice·s, sur leurs valeurs, initiatives, services, et même sur leurs prises de positions sociétales.
Jusque-là la communication digitale a été majoritairement verticale, imposant des messages à l’utilisateur·rice. Le conversationnel (démarche, IA), n’offrirait-il pas l’opportunité d’un échange à double sens, pour réinventer le lien avec l’utilisateur·rice sur les sujets qui l’intéresse ?
Retrouvez notre historique des agents conversationnels et notre expérience avec ChatGPT, ici.
Petit Lexique du design conversationnel
Le NLP
Le NLP (Natural Language Processing) ou traitement du langage naturel est “une discipline de l’intelligence artificielle visant à permettre aux machines de reconnaître, interpréter et générer le langage naturel humain.” (in : Design conversationnel : chatbots, phonebots, assistants vocaux… – Maaike Coppens).
Il comprend différentes sous-catégories comme la NLU (Natural Language Understanding), qui s’intéresse à l’interprétation du langage humain, ou encore le NLG (Natural Language Generation), qui se concentre sur la génération de réponses en langage naturel, humain.
L’écriture conversationnelle
L’écriture conversationnelle est une manière d’écrire du contenu qui se rapproche d’une conversation informelle.
Dans son ouvrage, Maaike Coppens donne l’exemple d’un site web qui utiliserait la formule “J’y vais !” plutôt que le platonique “En savoir plus”.
Les small-talks
Expression anglophone, le small talk pourrait se traduire en français comme la compétence sociale de pouvoir engager la conversation ou de tenir des discussions légères. Dans le cas d’assistants conversationnels, il s’agit de leur capacité à répondre à des questions triviales.
Selon Maaike Coppens, le small talk est une fonctionnalité qu’il ne faut pas ignorer et toujours prévoir des réponses adéquates. En effet, quel que soit l’objectif de l’assistant (ludique ou fonctionnel), il faut attendre de l’utilisateur·rice qu’il ou elle pose des questions de ce type – ne serait-ce que par simple curiosité.
Les prompts
Le prompt fait référence aux interactions (textuelles ou vocales) du système conversationnel avec l’utilisateur·rice. On distingue notamment les prompts informatifs (réponse à une question), les prompts de confirmation (rassurer l’utilisateur·rice) ou encore les prompts interrogatifs (questionner l’utilisateur·rice pour obtenir une information), etc
Le persona conversationnel
Le persona conversationnel sert à définir la personnalité et les traits de caractères de l’assistant conversationnel, c’est-à-dire la manière dont il sera perçu par l’utilisateur·rice.
Selon Maaike Coppens, il est important de faire un point sur les objectifs et surtout les valeurs de l’entreprise car ils serviront à délimiter la personnalité du persona conversationnel. “[…] tout choix autour de la représentation conversationnelle de l’organisation [doit] partager les mêmes valeurs.”
Merci à Maaike Coppens, experte en conception de produits conversationnels, conférencière et auteure de renommée internationale pour nos échanges riches d’enseignements.