Au cas où vous viviez sur une autre planète, Clubhouse c’est un “réseau social slash de networking”, 100% vocal, sous forme d’app mobile, à l’origine uniquement disponible sur iOS (la version Android vient de sortir et les enjeux étaient au rendez-vous). Le principe est de converser (à l’oral) avec des utilisateurs sur une thématique préalablement définie. On aura un indice là-dessus en lisant le nom donné à la room.
Dans la bonne room au bon moment
Ces salles virtuelles peuvent regrouper jusqu’à 5000 utilisateurs, et peuvent être publiques (ouvertes à tous), semi-privées (dédiées à son réseau, ses followers) ou privées (sur invitation uniquement).
Créée il y a un peu plus d’un an (mars 2020), et valorisée aujourd’hui à plus de 4 milliards de dollars, la licorne a séduit Elon Musk et Xavier Niel qui ont rapidement saisi l’occasion de s’afficher dessus.
Mais pourquoi attire-t-elle ?
L’app mise sur une logique d’exclusivité, intégrée à différents niveaux de l’expérience utilisateur. Cette stratégie de l’exclusivité n’est pas inédite et a déjà porté ses fruits, en digital, comme en retail ou en événementiel.
Pendant de nombreux mois, on ne pouvait rejoindre Clubhouse que sur invitation. On devait forcément connaître un membre pour s’y faire inviter. (Même si à l’heure où nous écrivons ces lignes, Clubhouse a confirmé que tout le monde pourrait s’y inscrire à partir de cet été, qu’on ait un iPhone ou non.)
Deuxième effet en chaîne, ce caractère exclusif, unique, nous incite à tester l’application sitôt que l’on reçoit l’invitation. FOMO oblige, on ne veut pas rater le coche, déjà content d’y avoir été invité. À la différence d’un réseau social ouvert, sur lequel on aura tendance à traîner (ou pas) pour s’y inscrire, Clubhouse crée ce désir d’appartenance qui nous fait cliquer.
Mais là, premier hic : quand on ouvre l’app pour la première fois, on ne sait pas vraiment où donner de la tête. L’onboarding est sommaire voire inexistant, et la homepage de l’app n’est pas des plus explicites. Au départ dénué de followings et de followers (nous reviendrons plus loin sur ce que cela implique), la page d’accueil propose des noms de salle dans tous les alphabets.
On se surprend alors à cliquer sur l’un d’eux, pour atterrir ni une ni deux dans une room : on entend alors un utilisateur, voire deux ou trois, mais on se demande en fait si on ne sera pas mis sur le devant de la scène par erreur. Pris de panique, on quitte l’échange précipitamment.
Ce manque de clarté dès les premiers instants d’utilisation est un écueil non négligeable quand on sait à quel point ils sont déterminants pour un utilisateur.
Sur Clubhouse, il n’y a que du direct. Rien n’est enregistré, et ce n’est d’ailleurs pas autorisé. L’app détecte même si un utilisateur fait une capture vidéo. Cette caractéristique alimente également ce sentiment d’exclusivité. Rien ne se reproduira, tout est unique. Il faut donc être dans la bonne room au bon moment. Qui peut prétendre se trouver dans la même pièce qu’Elon Musk à part un utilisateur de Clubhouse ?
Entre austérité et chaleur : une UI ambivalente
L’icône de l’application est peu commune. C’est une photo en noir et blanc d’un (potentiel) utilisateur. Ici, pas de logo, ni de couleur néon ou pastel. En plus d’avoir changé trois fois en un an, le visuel choisi n’a rien à voir avec l’objet de l’app.
Elle se fond dans le paysage d’un écran d’iPhone, comme une invitation à la discrétion, ou un privilège d’initié qui saura la reconnaître parmi d’autres. Cette stratégie est en marge des applications naissantes qui cherchent justement à se distinguer, à être vues parmi les concurrents. Sauf que quand tout le monde cherche à être unique, plus personne ne l’est. Une fois de plus, Clubhouse prend le parti de la singularité.
Autre ambiguïté remarquable, la charte graphique plutôt chaleureuse de l’application : des nuances de blanc, gris clair et beige, des typographies noires, des composants tout en rondeur et des call-to-action vert (un vrai vert “vert”). Les emojis occupent également une place très importante à tous niveaux : thématiques, nom des rooms, utilisateurs.
On pourrait se demander ce qui a conduit à faire ce choix, quand on sait que les sujets de prédilection de Clubhouse peuvent paraître austères et inspirent la hiérarchie et le sérieux : la tech, l’innovation, ou les cryptomonnaies, en tout cas à ses débuts. On aurait eu tendance à penser plutôt à du noir et du bleu pour ce type de sujet.
Un utilisateur à chaque place, mais pas forcément une place pour chaque utilisateur
Cette ambivalence se traduit également dans l’expérience utilisateur et les fonctionnalités de base de Clubhouse : on peut se faire inviter dans une room par un contact, mais il faudra lever la main pour prendre la parole.
On peut entrer et sortir librement des rooms publiques (il suffit de taper sur Leave quietly, aujourd’hui devenu simplement ✌️ Leave), à la différence des applications classiques comme Messenger, WhatsApp ou de nombreuses autres applications sur lesquelles on sait quand un utilisateur est connecté (pastille verte) et quand le destinataire a lu notre message (ou en tout cas vu).
Sur Clubhouse, on se déplace de room en room en toute discrétion, pour vivre des moments uniques. Mais une nouvelle fois, on pourrait trouver ici de l’ambivalence entre le désir de faire partie de la communauté, sans pour autant en être acteur. Tout le monde peut animer une room, certes, mais tout le monde ne se bousculera pas forcément au portillon pour y participer. Nous l’avons dit plus haut, il faut être dans la bonne room au bon moment.
Mais encore faut-il la trouver cette room. Car nous en parlions, les recommandations de la home dépendent des contacts que l’on décidera de suivre. Les utilisateurs les moins regardants auront d’autant plus de chances de se voir proposer du contenu qui ne les intéresse pas.
Et l’expérience a montré que cela pouvait s’avérer déterminant pour la suite de l’UX. Cela représente un autre écueil de l’application, qui, comme nous l’expliquions plus haut, n’accompagne pas suffisamment ses utilisateurs dans les premiers pas.
Une licorne en voie de devenir chimère ?
L’audio a trouvé sa place dans nos pratiques. Des podcasts, aux assistants vocaux, en passant par les nouvelles applications 100% vocales, les utilisateurs semblent peu à peu se détourner des écrans.
Clubhouse, ayant su révéler une tendance maintenant reprise par les géants du digital déjà établis (Spaces de Twitter, Reddit Talk de Reddit, Live audio rooms de Facebook, acquisition du leader des lives sportifs Locker Room par Spotify), semble néanmoins confrontée à des enjeux importants de compréhension et de simplification de son produit si elle ne veut pas se brûler les ailes en plein vol.