Care design : quand l’UX est aux petits soins

Care design : quand l’UX est aux petits soins

Care design : quand l’UX est aux petits soins 961 511 Wedo studios

Care management, métiers du care, care and repair : dans la catégorie “design qui fait du bien”, on a voulu décortiquer ce mot qu’on voit un peu partout, surtout depuis la pandémie.

Qu’est-ce que le care ? D’où vient-il ? Quelle différence avec les approches de conception inclusives ? Et quelles implications en UX ?

On a synthétisé en cinq points la tendance du care.

1. Pourquoi on ne traduit pas le care?
L’anglicisme du care

Taking care, c’est bien sûr prendre soin. Mais le care, c’est aussi l’attention portée à quelqu’un·e ou quelque chose. Un·e utilisateur·rice par exemple. Ou un service.

Donc, outre un engouement pour les anglicismes, le care a été adopté car le mot “soin” ne suffit pas à en traduire les différents aspects : sollicitude, attention, précaution, souci.

Par ailleurs, l’éthique du care nous vient d’outre-Atlantique et a été théorisée par Carol Gilligan. Dans son ouvrage In a Different Voice (1982), la chercheuse et psychologue américaine défend une société du care, sortant de l’individualisme et allant vers plus d’entraide.

Le manifeste de Carol Gilligan pour une société empathique

Dans In a Different Voice, la chercheuse mène une enquête de psychologie qui met en évidence que les critères de décision morale ne sont pas les mêmes chez les hommes et chez les femmes.

Selon cette enquête, les femmes privilégient la valeur de la relation, là où les hommes privilégient une logique de calcul et la référence au droit. Cette dernière conception étant dominante, la morale dite féminine est dévalorisée, y compris au sein de la justice. 

Carol Gilligan remet en question le principe de partialité de la justice en démontrant son caractère subjectif.

La critique qu’elle formule est radicale : « les éthiques majoritaires, et leur articulation au politique et notamment aux théories passées et présentes du contrat, sont le produit et l’expression d’une situation de la domination masculine et sont elles-mêmes un outil d’infériorisation ou de soumission des femmes, et aussi bien l’expression d’une pratique sociale qui dévalorise l’attitude et le travail de care, parce qu’associés aux femmes. »

Sa proposition féministe consiste à valoriser les caractéristiques morales considérées comme féminines (ce qui a trait au care). Aux éthiques de la justice et des droits des individus, fondés sur des principes moraux universels abstraits, Carol Gilligan propose une éthique relationnelle.

L’éthique du care nous demande ainsi de mobiliser notre attention sur ce que nous ne voyons pas d’habitude, voire ce que nous nous refusons à voir. Il s’agit de replacer l’ordinaire des quotidiens et l’interdépendance des êtres (admis comme tous vulnérables) au sein de la morale, de la justice et du politique.

Ainsi, selon Carol Gilligan, nous connaissons tou·te·s (ou allons connaître), au moins à un moment donné de notre existence, une certaine dépendance aux autres (dont la vulnérabilité est la forme la plus extrême).

Cette problématique résonne particulièrement avec les enjeux de vieillissement des populations et d’autonomie des personnes âgées.

2. Une approche initialement dédiée
aux patient·e·s

Care, accessibilité et inclusion

Personnes dépendantes, âgées, en situation de handicap : initialement, le care design était associé aux problématiques médicales et paramédicales.

100 ans de care design

Quelques exemples de produits représentatifs du care design :

 

  • Les douches EasyShower permettent de remplacer une ancienne installation (douche ou baignoire) par une douche adaptée à une personne âgée, qui peut ainsi profiter de son espace sanitaire en toute sécurité, et rester chez elle plus longtemps.

 

  • La gamme de petit-déjeuner Includeo de Tefal prend en compte les besoins des personnes en situations de handicap temporaire ou permanent, qui sont incluses dans le développement des produits dès la phase de conception pour en favoriser une utilisation intuitive.

 

  • Les téléphones Doro sont compatibles avec les appareils d’aide auditive et dotés d’une interface intuitive, avec une touche d’assistance et d’un bouton d’appel d’urgence, ce qui participe au maintien de l’autonomie des seniors.

Aujourd’hui, le care, c’est une approche plutôt qu’un secteur. Il ne s’agit pas seulement de se soucier des personnes les plus vulnérables, mais de la vulnérabilité chez toutes les personnes.

3. Le marché du bien-être
Une approche pavée de bonnes intentions

Optimiser un fonctionnement, optimiser un usage, optimiser un résultat : le design, c’est avant tout l’intention qu’un produit ou un service réponde de la manière la plus efficace possible à un objectif.

Selon les approches et les objectifs, cette intention varie. Aujourd’hui, le bien-être, c’est aussi un marché (plus de 1.5 billions de dollars selon McKinsey, avec une croissance annuelle de 5 à 10%).

Donc la tendance est au care : il faut préciser qu’on a prêté attention aux utilisateur·trice·s, qu’on en a pris soin.  Or, s’il y a besoin de préciser, c’est que ce n’est pas la norme.

Le standard serait-il donc without care? En tout cas, la Pandémie du covid19 a accéléré la nécessité de donner davantage de priorité au soin dans toutes ses dimensions : urgence sanitaire, valorisation des soignant·e·s, et impératifs de santé mentale notamment.

4. Care et UX
Le nouveau périmètre du care

En UX, cette évolution des attentes et usages vers davantage de bien-être se traduit par l’arrivée de nombreux services et produits dédiés (comme en témoignent le succès des sleepcasts).

Il s’agit aussi d’intégrer une intention de care dans tous les services, pas seulement ceux dédiés au bien-être. Cela passe par le ton employé (notamment en UX writing) pour s’adresser aux gens, par une prise en compte inclusive des besoins des personnes (identités, spécificités physiques ou mentales), et par l’importance générale accordée au bien-être.

Tout détail et choix de conception (un contraste, une feature, une emoji) qui peut éviter les micro-agressions et discriminations sont les bienvenus.

Donc, le care design, c’est concevoir en prenant soin des utilisateur·trice·s, en faisant attention à leurs besoins. Concevoir pour améliorer la vie des humain·e·s finalement :

  • En représentant leurs identités sociales variées (genres, origines).
  • En prenant en compte leurs besoins (langues parlées, ressources financières, condition physique).
  • En étudiant leurs manques, ce qui pourrait améliorer leur qualité de vie.
  • En concevant des produits et services en fonction de ces constats.
  • En permettant de faire évoluer nos produits et services sans avoir à les remplacer.
  • En prenant aussi soin des environnements et des écosystèmes indispensables à une vie en bonne santé.

5. Le (self-)care
Le nouveau périmètre du care

En cherchant dans votre smartphone, on trouvera sûrement une application de jeûne intermittent, de méditation, un tracking de santé, ou au moins votre nombre de pas quotidiens. C’est ça le self-care : une maîtrise par les utilisateur·rice·s de leurs indicateurs de bien-être, notamment leur humeur et activité physique.

Des services et interfaces qui réduisent la charge mentale (et les charges en tout genre), font gagner du temps et de l’énergie, et aident les gens à aller bien, on ne demande que ça. Mais avec l’intention (louable) d’aider les personnes à se sentir mieux, une nouvelle injonction apparaît : celle de prendre soin de soi.

On a lu attentivement l’étude Wellness in 2030 de McKinsey. On a bien aimé les 6 catégories qu’ils identifient dans le bien-être :

On a même réalisé une série d’analyses UX sur les applis-compagnons du self-care : on trouve ça passionnant.

Du Care mais pas performatif

Par contre, on essaie d’être vigilant·e·s sur le danger du bien-être individuel performatif. C’est-à-dire ce qui incite à présenter une façade de bien-être, comme s’astreindre à partager régulièrement des scores ou des photos de ses activités de wellness, ou consacrer un temps, une énergie et une charge mentale obsessionnels à ses routines wellness, plutôt que de bénéficier des bienfaits de ces activités.

Enfin, le bien-être performatif devient encore plus problématique lorsqu’il charge les individus de leur propre bien-être, car, par extension, cela les rend responsables aussi de leur mal-être. Aussi, on fait très attention à la manière dont nos services s’adressent aux utilisateur·rice·s, notamment les patient·e·s, pour les accompagner avec soin, mais sans les inciter